Mon diabète de type 1 s’est déclenché à l’âge de 17 ans, et comme tout DT1, il a totalement chamboulé ma vie. Je prends les premières semaines et les premiers mois comme une bonne élève, la gestion du diabète s’apparente à une nouvelle discipline à laquelle je dois m’adonner et pour laquelle la perfection et la rigueur sont de mise. J’apprends à compter les glucides, peser mes assiettes, manger à heure fixe, et doser mes besoins en insuline. Je suis le régime imposé par l’hôpital à la lettre.
Je me souviens encore du nombre exact de glucides que je devais manger à chaque repas. Mes assiettes étaient très copieuses, beaucoup trop, et venaient bouleverser des années d’alimentation intuitive. Pour la première fois de ma vie je m’oblige à finir les assiettes alors même que je n’ai plus faim (car l’injection d’insuline pour la totalité du repas était faite en amont), et je ne m’autorise plus aucun plaisir car j’avais bien intégré le message de l’hôpital : « à partir de maintenant c’est fini les sucreries et les grignotages en dehors des repas ». Il ne fallut pas moins d’un an pour que les troubles du comportement alimentaire s’installent de manière insidieuse.
Frustrée par ce nouveau régime alimentaire et toutes ces nouvelles règles, je commence tout d’abord par m’injecter un peu plus d’insuline à l’heure des repas pour provoquer une hypoglycémie post-prandiale et ainsi avoir « le droit » de manger des aliments sucrés. La stratégie fait plusieurs fois l’affaire, et passe incognito au regard de mes parents qui n’y voient qu’un maladroit calcul d’insuline, mais elle devient pesante à la longue. Si parfois j’avais envie de sucré au moment du repas, je me retrouvais quelques heures après à me forcer à manger des aliments qui ne me faisaient plus envie. Double peine. Alors je décide de la jouer autrement. Je me cachais dans ma chambre au moment où l’envie me prenait de manger un ou deux gâteaux, puis je m’injectai une dose d’insuline supplémentaire correspondant aux glucides ingérés. Je me souviens encore de cette première expérience, avec moi-même et avec mon corps, c’était excitant et à la fois terrifiant. Je m’étais préparé 2 cookies, avait bien calculé la dose d’insuline nécessaire, me l’était injectée puis me suis délectée de mon péché mignon. Bien sûr personne ne pouvait savoir ce qu’il se tramait, et quelques heures après je m’aperçus que le calcul était bon. Eureka ! J’ai pu manger les aliments interdits et m’injecter la dose équivalente sans provoquer d’hypo ni d’hyper. J’avais trouvé la brèche, la faille, et personne n’en saurait jamais rien. C’était le début de mes troubles alimentaires.
Avec mon nouveau régime imposé par l’hôpital je prends 10 kilos en 3 mois. C’est un nouveau coup dur, je ne me reconnais plus. Et à cet âge, les préoccupations de l’image de soi et du corps sont centrales. Au bout d’un an de diabète je comprends que je peux adapter mes doses d’insuline à mes repas, alors je quitte le schéma de l’hôpital, mange beaucoup moins à table avec mes parents mais continu mes petites escapades sucrées en cachette. Je vais alors passer les 10 prochaines années de ma vie à faire des yoyos, prendre beaucoup de poids, puis m’imposer des régimes stricts et perdre beaucoup de poids. +10, -10, +15, -15kg, mon poids évolue en fonction de mes périodes de vies : les bonnes, les moins bonnes, les dynamiques, les subies ; et l’alimentation devient un refuge, une bouée de sauvetage pour mes émotions négatives. Je souffre d’hyperphagie boulimique (ingestion excessive d’aliments sans comportement compensatoire), et je vis avec tout comme je vis avec mon diabète. A mes 21 ans, suite au décès de mon père, je décide d’aller voir un psychologue pour m’aider à traverser cette période douloureuse : le deuil, mais aussi l’acceptation de mon diabète qui n’avait pas été digérée et ces foutus TCA qui me gâchaient la vie.
3 ans de thérapie plus tard, la rencontre de mon partenaire amoureux et un tour du monde dans les pattes, à 27 ans, je me sens libérée et guérie de mes TCA. J’y crois dur comme fer, je mène une vie équilibrée, je prends soin de mon diabète (un peu trop), j’ai un poids stable, je fais beaucoup de sport et je suis la reine des repas à IG bas. Les compulsions alimentaires ont laissé place à une vie bien cadrée, presque millimétrée, une hygiène de vie parfaite sous-couverte d’arguments comme « je fais attention à mon diabète ». Malheureusement, à 29 ans, les confinements successifs de 2020, une séparation amoureuse, l’isolement et des difficultés à niveau professionnel, vont me refaire basculer à nouveau dans l’enfer des TCA. Aujourd’hui je me soigne plus que jamais, je suis à nouveau suivie par une psychothérapeute spécialisée, je suis membre d’une association où nous avons un groupe de parole entre femmes DT1 atteintes de TCA, et je m’essaye à de nouvelles thérapies comme l’hypnose, la sophrologie ou la méditation en pleine conscience pour m’aider à guérir (je l’espère) définitivement. Je comprends bien que même si la gestion du diabète de type 1 a pu déclencher mes TCA, les nourrir et les accentuer par moments, il n’en n’est pas la cause principale car les TCA sont le révélateur d’un mal-être plus profond. Je travaille donc sur les déclencheurs de mes crises d’hyperphagie et fait un grand travail d’introspection personnel de mes émotions. Le travail est long mais nécessaire, et il ne peut être effectué seul(e) car il demande à être accompagné et soutenu par un ou plusieurs corps de métiers spécialisés. Car pendant que l'on guérit on subit toujours ses TCA, les phases de rechutes peuvent être décourageantes et l'accompagnement pluridisciplinaire nous aide à nous recentrer.
Par mon témoignage j’espère libérer la parole sur ce sujet malheureusement encore trop tabou, et surtout déculpabiliser les femmes et les hommes DT1 atteints de TCA, car il n’y a aucune honte à souffrir de son rapport à l’alimentation, qui est pour le moins complexifié et perturbé par la maladie, et peut se révéler être dévastateur psychologiquement et physiquement. Cette parole permet également de transmettre que vous n’êtes pas seul(e)s, et j’espère un jour pouvoir porter le message d’espoir d’être sortie de ces troubles pour aider à mon tour d’autres personnes qui se trouvent à ma place aujourd’hui. Je suis tombée dans les TCA tout bêtement, très jeune, comme beaucoup de jeunes femmes aujourd’hui, et il est essentiel de trouver de l’aide rapidement afin que le trouble ne s’installe plus profondément. Car s’il est difficile de guérir d’un TCA, il est encore plus difficile d’en guérir lorsqu’il interagit au quotidien avec notre diabète ; mais pas impossible J.
Prenez soin de vous et surtout entourez-vous de vos proches, de médecins et/ou thérapeutes formés aux TCA, et de personnes qui vivent la même chose que vous pour vous sentir soutenus et accompagnés dans votre chemin de guérison.
Elsa