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Témoignage

Aurélie, trentenaire, Montréal

Diabétique de type 1 depuis l’âge de 12 ans, je vis au Canada depuis 6 ans. Par la force des choses, je fréquente désormais essentiellement des sites anglophones pour me tenir au courant des dernières avancées en matière de traitement du diabète. Récemment, j’ai été stupéfaite de découvrir quelque chose dont je n’avais jamais entendu parler en France : la prévalence des troubles du comportement alimentaire chez les (jeunes) femmes atteintes de diabète de type 1.

Il se trouve que je suis moi-même atteinte de troubles de ce type depuis le début de l’adolescence. Bien que j’aie longtemps soupçonné que cela avait un lien avec mon diabète, le régime alors très restrictif que l’on prescrivait alors (je me souviens encore de ma mère en train de tout peser, y compris les haricots verts), les commentaires blessants de certains professionnels sur mon poids et mes HbA1c, j’ignorais combien ce genre de problème était, en fait, relativement fréquent et connu.

Dans la mesure où la gestion du diabète exige de porter beaucoup d’attention à ce que l’on mange, je me suis toujours sentie doublement coupable quand il m’arrivait de faire des crises de boulimie (parfois quotidiennement). D’une part, je me détestais de ne pas réussir à maîtriser mes compulsions alimentaires, pensant que c’était une question de volonté et de force de caractère. D’autre part, je m’en voulais d’être une « mauvaise diabétique », qui faisait en toute connaissance de cause exactement le contraire de ce qu’il fallait, incapable de gérer sa maladie, alors que d’après les médecins et les revues, c’était tout à fait possible pourvu qu’on s’en donne la peine. Ainsi, tout le monde s’en sortait très bien, sauf moi [...]

C’était juste une question, encore une fois, de volonté et d’organisation. Je me sentais minable, et certainement pas digne de demander de l’aide : que vouliez-vous qu’un médecin fasse d’une patiente comme moi, non observante et incapable de maîtriser ses prises alimentaires ?

J’ai renoncé à faire des études de médecine, convaincue que je n’en serais pas capable. Je suis devenue enseignante, au moins je n’aurais jamais la vie d’un de mes patients entre les mains. J’ai passé d’abord le CAPES, puis l’année d’après l’agrégation de philosophie, perpétuellement épuisée par le travail [...] J’ai obtenu un tiers-temps pour les épreuves de l’agrégation. Il avait fallu qu’un endocrinologue intervienne, parce que le médecin du rectorat avait estimé que, je cite : « pour passer l’agrégation de philosophie à 23 ans, vous n’allez pas me dire que vous êtes bien malade ! »

Avant les oraux, de manière tout à fait inattendue, la présidente du jury m’a convoquée (à Paris, alors que j’habitais Marseille) pour me signifier qu’elle n’était pas dupe de mes « manœuvres » (sic) : légalement, elle ne pouvait pas me refuser le tiers-temps, mais, refrain trop souvent entendu : « il faut tout de même reconnaître que vous n’avez pas l’air bien malade ». Je venais de passer une demi-heure à me faire vomir à cause d’une crise dans les toilettes de la Sorbonne, ma glycémie, je m’en souviendrai toujours, était à 4,16 g. Mais je me sentais mortifiée, parce que, après tout, c’était de ma faute si j’étais dans cet état : je n’avais qu’à arrêter de manger, m’occuper de mon diabète, ou au moins, avoir la décence d’avoir l’air malade. J’ai finalement eu cette agrégation, du premier coup, mais dans la honte et avec l’impression d’avoir bénéficié d’un privilège indu [...]

Me voici, presque 15 ans plus tard. J’ai fait une thèse de doctorat et ai eu la chance inouïe de trouver un poste d’enseignant-chercheur dans une université canadienne. Cela fait seulement deux ans que mon diabète est à peu près équilibré (cinq injections par jour et entre 5 et 6 glycémies quotidiennes). Me déplacer pour les congrès est un véritable défi à cause du décalage horaire. Les troubles du comportement alimentaire se sont calmés [... ] mais [...] ressurgissent dans les moments de stress et de déception [...]

J’ai eu la chance, il y a deux ans, de tomber sur une psychiatre remarquable, qui travaille régulièrement avec des patients atteints de diabète de type 1. Par son intermédiaire, j’ai découvert, il y a quelques semaines, l’ouvrage de Ann Goebel-Fabbri intitulé * " Prevention and Recovery from Eating Disorders in Type 1 Diabetes – Injecting Hope ". J’ai appris que les jeunes et les femmes diabétiques de type 1 étaient deux fois et demi plus à risque que les non diabétiques de développer des troubles du comportement alimentaire. Qu’il existe, aux États-Unis, des cliniques spécialisées [...] J’ai lu les témoignages de patientes concernées, aux prises avec de lourdes complications, avant même l’âge de trente ans.

J’ai alors eu le sentiment, pour la première fois, que ce n’était peut-être pas (ou pas seulement) de ma faute, que cette pathologie spécifique était désormais référencée, scientifiquement étudiée, et même soignée. Je me suis alors sentie un devoir de le partager, afin que toutes celles et ceux, patients ou accompagnants, qui sont aux prises avec ce couple infernal (diabète de type 1/troubles du comportement alimentaire) puissent ressentir un peu de ce soulagement et de cet espoir que j’ai finalement retrouvés.

* Références de l’ouvrage : Ann Goebel-Fabbri, Prevention and Recovery From Eating Disorders in Type 1 Diabetes – Injecting Hope, 2017, New-York, Routledge.
(en français : Prévenir et guérir les troubles du comportement alimentaire chez les diabétiques de type 1 – une piqûre d’espoir).

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