Le Professeur Philippe Froguel, généticien et endocrinologue au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres, Responsable Scientifique et Technique du Centre National de Médecine de Précision des Diabètes PreciDIAB, nous éclaire particulièrement sur les impacts des facteurs génétiques dans le dépistage, la prévention et l’amélioration de la prise en charge des diabètes.
Suivant le type de diabète, l’héritabilité joue un rôle plus ou moins important
Les diabètes, quel qu’en soit le type, sont fortement familiaux, notion connue depuis les Romains de l’antiquité. On estime à 60 % l’héritabilité (1) du diabète de type 2 (DT2), c’est-à-dire que l’environnement, ne compte que pour 40 % dans le risque de devenir diabétique. Les études du génome (2) humain, menées depuis une quinzaine d’années, ont identifié environ 250 régions du génome impliqués dans la survenue du DT2. En les analysant on pourrait, en théorie, dès la naissance, identifier par exemple les 3% de la population ayant un risque multiplié par trois de devenir diabétique et essayer d’en prévenir l’apparition, par exemple, en incitant à contrôler le poids, à avoir de l’activité physique régulière et à manger sain. Car prédisposition ne signifie par prédestination, et la prévention marche chez ces personnes « à risque ». Si on a un père ou une mère ayant un diabète de type 2, le risque est de 30% de devenir diabétique, mais cela dépasse 50 % si les deux parents sont atteints de diabète.
Pour le diabète de type 1 (DT1), les facteurs génétiques sont aussi primordiaux avec l’importance des facteurs d’immunité HLA (3) et là encore de plus d’une centaine de régions du génome. Compte tenu de la plus faible fréquence du DT1, le risque est d’environ 5% de développer la maladie quand on a un parent atteint d’un diabète de type 1. La prévention du diabète de type 1 chez des enfants/adolescents et jeunes adultes à risque est devenu une réalité, avec l’autorisation en fin 2022 aux Etats-Unis d’un médicament qui retarde de plusieurs années l’apparition du DT1, chez des personnes porteuses d’anticorps dirigés contre les cellules productrices d’insuline, et dont la glycémie commence à devenir anormale. Un grand espoir, qui pourrait inciter à repérer les jeunes personnes à très grand risque de développer un diabète de type 1.
Il existe des diabètes atypiques et plus difficiles à diagnostiquer
A côté des formes classiques de DT1 et de DT2, il existe des diabètes dits atypiques car ils ne sont ni auto-immuns (DT1), ni liés au surpoids, ni à l’inefficacité de l’insuline dans l’organisme et ses conséquences, mais sont directement consécutifs à une anomalie génétique, ne touchant qu’un seul gène contrôlant la production de l’insuline par le pancréas : on parle alors de diabète monogénique (4). Ces personnes sont diabétiques car leur production d’insuline est insuffisante. Ce genre de diabète apparaît souvent pendant l’enfance ou l’adolescence (on parle de diabète MODY (5)), mais parfois plus tard dans la vie et est confondu avec un DT2 classique voire avec un DT1. Environ 6% des personnes diabétiques ont un diabète monogénique. Il est très important de les reconnaître (par séquençage de leur génome dans des centres spécialisés (4), comme à Lille dans le laboratoire de diagnostic génétique LIGAN - Médecine Personnalisée), car dans la plupart des cas, les identifier conduit à un traitement personnalisé : on peut souvent arrêter l’insuline et arriver à un contrôle glycémique parfait avec des médicaments oraux peu chers, les sulfamides hypoglycémiants. Et on peut aussi faire un diagnostic génétique pour prodiguer des conseils utiles aux enfants (ou futurs enfants) des personnes atteintes. Parfois ces diabètes se révèlent lors d’une grossesse (on parle alors de diabète gestationnel). Parfois même, en cas de mutations du gène de la glucokinase (on parle alors de MODY-2 : la glucokinase est une enzyme dont l’inaction, pour cause génétique, empêche l’organisme d’utiliser le glucose, augmentant ainsi la glycémie), on peut arrêter tous les traitements, car malgré une glycémie parfois élevée, ces patients n’ont jamais de complications de leur diabète.
La recherche génétique progresse rapidement dans le diabète et ses complications, et l’objectif est d’arriver à une médecine diabétologique « de précision », c’est-à-dire adaptée aux causes, caractéristiques et risques de complication de chaque diabète. C’est, par exemple, l’objectif principal du Centre National de Médecine de Précision des diabètes - PreciDIAB, de Lille.
Lexique :
(1) héritabilité : probabilité pour qu'une caractéristique apparente, manifeste d'un individu soit transmise héréditairement par les facteurs génétiques.
(2) génome : ensemble des gènes d’un organisme, porté par l’ADN
(3) Système HLA : système immunitaire permettant à l’organisme de reconnaître son soi
(4) monogénique : qui n’implique qu’un seul gène
(5) Diabètes MODY (Maturity-Onset Diabetes of the Young) : formes particulières de diabètes dites monogéniques (mutation d’un gène en particulier) dont les conséquences sur la régulation de l’insuline se manifestent dès l’enfance ou l’adolescence, souvent chez des personnes de poids normaux.
Retrouvez l’interview du Professeur Froguel :
La connaissance du génome, espoir pour 400 millions de diabétiques, sur le site du Diabète LAB.