Ces deux projets francophones sélectionnés et soutenus financièrement par la FFRD, avec notamment le soutien de la Fédération Française des Diabétiques, permettent de mieux cerner le rôle de l’épigénétique en diabétologie et ouvrent des perspectives pour mieux maîtriser le risque de complications liées au diabète, d’une part chez les descendants de mères atteintes d’un diabète gestationnel, et d’autre part chez les personnes avec un DT2 présentant une inflammation chronique de bas grade.
• Le projet du Pr Froguel sur l’impact épigénétique du diabète gestationnel
Le premier projet soumis par l’équipe du Pr Philippe Froguel (Lille) en 2017 était intitulé : « L’impact épigénétique du diabète gestationnel sur le risque de diabète de type 2 (DT2) de la mère et sur la santé de l‘enfant ». Le diabète gestationnel est un diabète qui apparaît lors d’une grossesse. Il s’agit d’un véritable problème de santé publique en termes d’épidémiologie et de conséquences médicales. La prévalence du diabète gestationnel a triplé dans les pays développés depuis 30 ans, touchant environ 10 % des grossesses en Europe. Ce diabète représente un facteur de risque pour la mère pendant la grossesse et pour l’enfant à l’accouchement. De plus, les enfants nés d’une mère ayant présenté un diabète gestationnel sont plus à risque de développer une obésité et un diabète plus tard dans la vie. Enfin, si le diabète gestationnel de la mère disparaît généralement dès l’accouchement, il est associé à terme à un risque accru de développer un DT2 définitif et doit faire proposer des mesures hygiéno-diététiques préventives.
Parmi les facteurs favorisants le diabète gestationnel, on trouve l’obésité mais aussi les antécédents familiaux de DT2. Ceci a conduit à traquer la piste génétique du diabète gestationnel. En fait, les diabètes gestationnels n’ont aucune particularité génétique différente de celles caractérisant les DT2. Une autre piste physiopathologique est peut-être à trouver dans les mécanismes épigénétiques. Comme déjà dit, certaines anomalies épigénétiques peuvent perturber le fonctionnement du génome sans que l’ADN ne soit muté. En effet, pour qu’un gène fonctionne correctement, il faut que le brin d’ADN subisse certaines modifications, notamment l’ajout de radicaux méthyls (réaction de méthylation). Ces anomalies épigénétiques peuvent survenir à tout moment de la vie, mais particulièrement pendant la vie fœtale, et subsister toute la vie (voire même être transmises à la génération suivante) en favorisant l’apparition de maladies.
L’équipe du Professeur Froguel a postulé que des modifications de la méthylation du génome pouvaient être présentes à la fois chez la mère qui a fait un diabète gestationnel et chez son enfant. Le risque accru d’obésité de l’enfant puis de diabète pourrait donc s’expliquer par des changements épigénétiques en réponse à l’exposition hyperglycémique maternelle pendant la grossesse. Dans le projet de recherche, les liens éventuels entre l’exposition au diabète gestationnel et la méthylation du génome ont été recherchés chez 536 paires mère-enfant de la cohorte finlandaise FinnGeDi qui a été suivie au long cours. Il a été montré que l’exposition a une hyperglycémie pendant la grossesse de ces femmes avait entraîné des modifications majeures directes du méthylome de l’enfant. Si ceci peut paraître inquiétant, on peut également l’interpréter comme une possible bonne nouvelle. En effet, on pourrait en déduire qu’une bonne prise en charge des diabètes gestationnels, avec un dépistage approprié et une maîtrise aussi parfaite que possible de l’hyperglycémie tout au long de la grossesse, permettrait de limiter le risque de dérèglement des gènes des enfants. Cependant, dans certains cas, il a été remarqué que le diabète gestationnel, en interaction avec le méthylome anormal de la mère, pouvait quand même modifier le méthylome des enfants malgré la prise en charge proposée.
La transmission épigénétique entre les mères atteintes de diabète gestationnel et leur enfant, est probablement déterminée non seulement par l’exposition au diabète gestationnel (limitée à quelques mois), mais aussi par d’autres facteurs potentiellement de longue durée, tels que les antécédents métaboliques maternels et, plus généralement, l’environnement de la fillette devenue femme puis mère. Les principaux résultats de ce travail ont été publiés dans la célèbre revue américaine Diabetes Care en 2021.
• Le projet du Dr Venteclef sur la signature épigénétique du diabète de type 2
Le second projet porté par le Dr Nicolas Venteclef (Institut du Diabète, Université Paris Cité) en 2016 était intitulé « Décodage d’une signature épigénétique impliquée dans la susceptibilité à développer un diabète de type 2 ». Il concerne le rôle de l’épigénome dans l’inflammation chronique de bas grade. Cette inflammation a minima est décrite aujourd’hui comme un processus pro-diabétogène, à savoir favorisant le développement d’un DT2, mais également impliquée dans la survenue de la plupart des complications (notamment vasculaires) chez les personnes avec un DT2. Cette inflammation pathologique se caractérise, notamment, par l’activation des cellules immunitaires, ce qui provoque une augmentation de l’expression et de la production de molécules inflammatoires délétères pour l’organisme. Ainsi, ces dernières favorisent à la fois une mauvaise sécrétion d’insuline et une diminution de la sensibilité à l’insuline des tissus périphériques, deux anomalies caractéristiques du DT2. Elles sont également délétères pour la paroi artérielle, ce qui peut conduire à des accidents cardiovasculaires, fréquents dans la population avec DT2. L’intensité de cette inflammation pathologique est très hétérogène chez les patients DT2 et semble être fortement influencée par l’environnement et le mode de vie. Ces facteurs environnementaux provoquent une modification de l’épigénome (« génome non-codant », comme expliqué ici ).
L’équipe du Dr Venteclef a démontré que la modification de cet épigénome provoquait une augmentation atypique et incontrôlée de l’inflammation lors d’une obésité et d’un DT2. Le génome non-codant jouerait ainsi un rôle prépondérant dans le contrôle de l’intensité et la sévérité de l’inflammation chronique chez des personnes atteintes d’un DT2. Suite à ces travaux pionniers, une étude clinique est menée par cette équipe, en étroite collaboration avec les services de diabétologie de l’hôpital Lariboisière du Professeur Jean-François Gautier et de l’hôpital Bichat-Claude Bernard du Professeur Louis Poitier, chez des patients présentant un DT2 afin de définir les mécanismes sous-tendant l’hétérogénéité de la réponse immunitaire et d’y associer la nature et l’intensité de cette réponse inflammatoire avec la régulation de l’épigénome. Une analyse préliminaire des premiers résultats semble démontrer que 15 à 18 % des patients avec DT2 présentent une réponse inflammatoire systémique « atypique et exacerbée », associée à une dérégulation de leur génome non-codant. La confirmation de ces observations chez des personnes atteintes d’un diabète de type 2 permettrait une médecine « plus personnalisée » dans la prise en charge et le traitement du DT2 et de ses complications.
Merci au Pr Scheen, président du conseil scientifique de la FFRD, pour la rédaction de cet article.