Les troubles des conduites alimentaires (TCA) sont fréquents chez les personnes atteintes d’un diabète de type 1 ou de type 2, mais ils sont souvent mal détectés. Le Dr Clément Vansteene nous explique les liens entre diabète et TCA et l’importance d’une prise en charge adaptée et spécialisée.
Le Docteur Clément Vansteene est psychiatre spécialisé en suicidologie, addictologie et troubles des conduites alimentaires (TCA). Il est responsable d’une unité psychiatrique au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris. Le Dr Vansteene accompagne des patients présentant à la fois des TCA, des consommations de substances psychoactives et des comportements à tendance suicidaire. Il nous explique les liens entre les diabètes et les TCA dans un entretien donné à la Fédération.
Détection des TCA chez les personnes atteintes d’un diabète de type 1 ou un diabète de type 2
Le Dr Vansteene reçoit peu de patients atteints d’un diabète de type 1 ou 2 associé à un trouble des conduites alimentaires. Dans son service, ils ne représentent en effet que 0,5 % de l’ensemble des patients. Il s’en étonne car les études scientifiques montrent que :
Chez les femmes atteintes de diabète de type 1 :
• 1 % des patientes souffrent d’anorexie mentale 1 ;
• 16,2 % sont atteintes de boulimie et 7 % de ces mêmes patientes sont atteintes de diaboulimie 2, un TCA spécifique au diabète de type 1, combinant les comportements compensatoires de la boulimie (sauts de repas, vomissements, sport intense, etc.) avec des omissions volontaires d’injections d’insuline au moment des repas ;
• 40 % présenteraient régulièrement des omissions volontaires d’insuline 3.
Parmi les personnes atteintes d'un diabète de type 2, 20 % des patients présenteraient des symptômes de TCA, le plus répandu étant l’hyperphagie boulimique 4.
Pourtant, le Dr Vansteene observe dans sa patientèle, une quasi-absence de personnes atteintes d’un diabète de type 1 ou 2 et de TCA, s’expliquant par une détection difficile de celui-ci chez les patients atteints d’un diabète. Il fait l’hypothèse d’un manque de communication entre psychiatres et diabétologues ; c’est pour lui ce qui contribuerait à limiter la détection et la prise en charge des TCA chez les personnes atteintes d’un diabète.
1 WINSTON, A.P. Eating Disorders and Diabetes. Current Diabetes Reports. 2020, vol. 20, n° 8, p. 32.
2 BIRK, R. et SPENCER, M.L. The prevalence of anorexia nervosa, bulimia, and induced glycosuria in IDDM females. Diabetes Educator. 1989, vol. 15, p. 336 341.
3 TORJESEN, I. et al. Diabulimia: the world’s most dangerous eating disorder. BMJ. 2019.
4 ALLAN, Jacqueline Anne. Understanding poor outcomes in women with type 1 diabetes and eating disorders. Journal of Diabetes Nursing. 2015.
La prise en charge des TCA chez les personnes atteintes d’un diabète
Après nous avoir rappelé les principaux types de TCA, le Dr Vansteene explique s’occuper principalement de patients souffrants de boulimie, d’anorexie mentale et d’addictions.
Il rappelle que les défis posés par la prise en charge d’un TCA chez une personne atteinte d’un diabète de type 1 ou de type 2, se pose dès le diagnostic. En effet, le patient peut éprouver honte et culpabilité à l’idée d’aborder le sujet du TCA avec son diabétologue, en particulier lorsqu’il s’agit d’omission volontaire d’insuline.
Le second défi est lié aux professionnels de santé. Le Dr Vansteene remarque, dans son expérience que lorsque le patient aborde une telle problématique, le diabétologue doit diriger dans certains cas le patient vers un psychiatre qui maîtrise la thématique des TCA et associé à un diabète de type 1 ou 2. Il explique que le manque de spécialistes formés aux comorbidités diabète – TCA complique la prise en charge.
Pourtant, le Dr Vansteene explique que l’accompagnement des troubles des conduites alimentaires chez une personne atteinte d’un diabète, est similaire à celui des autres patients, à une exception près : un suivi en lien étroit avec le diabétologue, notamment pour ajuster les schémas d’insuline, en fonction des besoins du patient.
Il nous rappelle aussi qu’en cas de TCA « le patient ne perçoit pas une part de ses symptômes », ce qui complique également la prise en charge. En effet, « le TCA s’infiltre dans l’existence de l’individu » et celui-ci perçoit la souffrance associée à la maladie, mais dans certains cas, il ne perçoit pas toujours qu’elle joue sur d’autres aspects de la vie quotidienne : invitations refusées, temps passé seul pour échapper au regard des autres pour faire une crise… Même si le Dr Vansteene n’apprécie pas ce terme, le « déni » est donc l’objet à part entière d’un travail thérapeutique.
Pour accompagner la prise en charge des TCA chez les personnes atteintes d’un diabète ou non, le Dr Vansteene collabore avec différents professionnels de santé : diabétologues, psychologues et diététiciens, dans une approche pluridisciplinaire. Il explique qu’un suivi individuel est essentiel, complété par des groupes de parole entre pairs qui permettent une déstigmatisation de la vie avec un TCA et un soutien mutuel.
Les soins psychiatriques et hospitaliers sont pris en charge dans l'affection longue durée (ALD) diabète, mais les consultations psychologiques et diététiques restent à la charge du patient.
Les facteurs favorisant l’apparition des TCA chez une personne atteinte d’un diabète
Le docteur indique que le diabète de type 1, survenant souvent à l’adolescence, implique un contrôle lié à l’alimentation et au poids, pouvant perturber la relation à la nourriture et provoquer de l’anxiété… Il représente donc un facteur de risque puissant, quant au développement d’un TCA, avec des conduites de restriction et de compensation.
Chez un patient atteint de diabète de type 1 ou de type 2, le stress et l’anxiété peuvent provoquer un cercle vicieux : le stress augmente les comportements de restriction ou de surconsommation alimentaire, ce qui impacte directement l'équilibre glycémique. Un déséquilibre du diabète peut alors aggraver le stress et l'anxiété, augmentant ainsi les épisodes de compulsions alimentaires ou les omissions d'insuline.
Ce phénomène peut mener le patient à éviter ses rendez-vous médicaux. Pris d’un sentiment de culpabilité, il peut dissimuler ses résultats glycémiques, ce qui renforce son isolement et complique la prise en charge de ses deux pathologies.
Le rôle des proches dans l’accompagnement
Le Dr Vansteene déclare que « l'entourage a un rôle : entendre le patient lorsqu’il est en difficulté, l’aider, voire l’accompagner dans le recours au soin ». Selon lui, il est essentiel de verbaliser les inquiétudes sans adopter une posture soignante ni mettre en place des mesures de contrôle excessives. " Un patient en détresse a besoin d’être entendu et non contrôlé " insiste le Dr Vansteene. " Il faut privilégier le dialogue bienveillant et éviter les jugements qui renforcent la culpabilité. "
Encourager la communication et faciliter l'accès aux soins peut grandement aider à la rémission.
Pour résumer, trois conseils sont à retenir :
- Verbaliser les inquiétudes ;
- Ne pas prendre une position de soignant ;
- Ne pas prendre de mesures de contrôle externe (ex : verrous sur les
placards…).
Vers un processus de rémission du TCA plutôt qu’un processus de guérison
« Comme pour le diabète, les TCA sont des maladies chroniques, le terme de guérison est donc inadapté. Il est plus juste de parler de rémission. », déclare le Dr Vansteene. En effet, il rappelle que la guérison, dans sa définition officielle suppose « un retour à l’état antérieur à l’apparition de la maladie ». « C’est donc une fiction ! », explique le psychiatre. Le processus de rémission progressive implique des moments de fragilité (rechutes), qui ne surviendraient pas en cas de guérison.
Dans l’accompagnement vers la rémission, le Dr Vansteene est en lien avec les médecins généralistes, les diététiciens, les psychologues, les psychomotriciens, les kinésithérapeutes…
Conclusion
Le Dr Vansteene conclut que les TCA associés au diabète sont des troubles graves qui doivent être traités avec la même rigueur que les autres TCA. Une meilleure coordination entre diabétologues et psychiatres, une sensibilisation accrue et une prise en charge adaptée sont indispensables pour aider ces patients à retrouver un équilibre durable et aller vers une possible rémission du TCA.
Il déclare : « Qu’on la nomme diaboulimie ou autrement, l’association diabète et TCA ne doit pas faire oublier le plus important : les TCA associés au diabète sont des TCA « comme les autres », qui répondent aux mêmes mécanismes psychologiques. Le risque si l’on néglige ceci, c’est que le patient soit renvoyé d’un praticien qui s’estime « non-spécialisé » à un autre sans jamais être pris en charge pour son trouble alimentaire ! ».
À retenir :
- Le diabète de type 1 et 2 est un facteur de risque de TCA : contrôle de l’alimentation, anxiété, culpabilité… ;
- La détection d’un TCA chez un patient atteint d’un diabète est rendue difficile par la culpabilité que peut ressentir celui-ci à l’idée d’en parler à son diabétologue, notamment en cas d’omission volontaire d’insuline, ou encore le « déni » ;
- Le manque de psychiatres formés à la fois aux diabètes et aux TCA complique l’accompagnement ;
- L’accompagnement pluridisciplinaire (diabétologue, diététicien, psychologue, psychiatre) est nécessaire, avec celui des proches ;
- Les soins psychiatriques et hospitaliers sont pris en charge dans le cadre d’une ALD liée à un diabète, mais les consultations psychologiques et diététiques restent à la charge du patient.
Pour en savoir plus :
- Retrouvez l’intégralité de l’entretien du Dr Vansteene sur le site du Diabète LAB.
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- Retrouvez l’entretien avec Anaïs Gaillot : diététicienne-nutritionniste spécialisée dans les TCA et le diabète
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