Les troubles des conduites alimentaires (TCA) touchent davantage les personnes atteintes d’un diabète. Quel accompagnement diététique proposer à un patient atteint d’un TCA et d’un diabète ? La Fédération fait le point avec Anaïs Gaillot, diététicienne-nutritionniste.
L’expérience d’Anaïs Gaillot, diététicienne-nutritionniste spécialisée dans les TCA et les différents types de diabète
Quel est votre parcours ? Pourquoi avez-vous choisi de vous spécialiser dans la prise en charge des troubles des conduites alimentaires (TCA) ?
Anaïs Gaillot : « Je suis diététicienne-nutritionniste depuis 2018 et j’ai choisi ce métier à la suite du diagnostic de mon diabète de type 1, que j’ai depuis 21 ans maintenant. À 12 ans, j’ai rencontré une diététicienne qui m’a passée sous insulinothérapie fonctionnelle (IF) et j’ai décidé de faire le même métier qu’elle parce que c’était super de me dire que je pouvais enfin manger comme je voulais, sans faire de régime.
J’ai été diplômée en 2018 et formée au Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (G.R.O.S). Cela m’a permis de faire un premier pas vers la connaissance des troubles alimentaires.
Dès que je suis sortie de formation, j’ai directement exercé avec des outils propres au G.R.O.S : compréhension du corps, faim, satiété, écoute des signaux plutôt que vers la perte de poids pure.
J’ai gardé ce savoir-faire jusqu’en 2022, mais cette formation me bloquait de plus en plus, notamment avec les personnes atteintes de diabète de type 1 et de type 2, où la sensation de faim et de satiété sont brouillées, notamment lorsqu’on sort de l’IF. Après 2022, j’ai décidé de me former aux troubles alimentaires. J’ai fait trois formations différentes, notamment une avec Florian Saffer 1. Ensuite, une avec l’Instance régionale de promotion de la santé (IREPS), de Lille. Enfin, une dans ma région avec le Réseau de prévention et de prise en charge de l’obésité pédiatrique (RéPPOP). En avril je vais me former dans la prise en charge des psycho traumatismes en consultation diététique et en septembre 2025, je vais me former à la thérapie familiale.
Je suis installée dans mon propre cabinet en libérale depuis 2023. Je suis « spécialisée diabète », par mon diabète de type 1, mais aussi par une formation que j’ai faite à l’Hôpital de Perpignan. »
1 Diététicien-nutritionniste – Thérapeute TCC et ACT (Thérapie cognitivo- comportementale, et thérapie d’acceptation et d’engagement.
Les différents types de patients
Comment les personnes atteintes d’un diabète et d’un TCA sont-elles amenées à vous consulter ?
« Dans les cas les plus graves, les personnes atteintes d’un diabète de type 1 ou de type 2 et d’un TCA sont envoyées à moi surtout par les hôpitaux psychiatriques. Ce sont, par exemple, des personnes qui sont sur liste d’attente pour se faire hospitaliser.
Sinon, les médecins psychiatres, les endocrinologues, les médecins généralistes et les psychologues, m’adressent directement les patients.
Parfois, ce sont les patients, eux-mêmes qui viennent me voir, notamment grâce aux réseaux sociaux, ou par le bouche à oreille. »
Quels profils de personnes ayant un diabète prenez-vous en charge ?
« Depuis deux ans, je reçois uniquement des personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires avec ou sans diabète. Ils sont autant d’hommes que de femmes.
Mes patients sont principalement atteints de diabète de type 1 : environ 70 % de ma patientèle, contre 30 % de patients atteints de diabète de type 2. J’ai quelques patientes atteintes de diabète gestationnel.
Je reçois les proches, mais toujours avec le patient. Je reçois très peu d’enfants, parce que selon moi, ils doivent d’abord être suivis au niveau psychologique lorsqu’il y a un TCA. »
Dans votre patientèle, les hommes ont-ils le même facteur déclenchant que les femmes ?
« Les hommes atteints d’un diabète recherchent surtout la perfection de la courbe glycémique et de l’hémoglobine glyquée. Les femmes également, mais elles ressentent davantage la culpabilité et la honte de manger ou de faire des crises alimentaires. Leurs préoccupations sont plus liées au poids et à l’apparence physique. Alors que les hommes veulent davantage avoir une courbe glycémique plate, une hémoglobine glyquée parfaite, tout en recherchant la performance sportive. Lorsque nous sommes atteints d’un diabète de type 1 ou de type 2, avoir une courbe plate n’est pas possible. Cette recherche de la perfection pousse à adopter des comportements obsessionnels, ciblés sur la glycémie et les résultats. »
Les trois grands types de troubles des conduites alimentaires
Pouvez-vous nous rappeler les grands types de TCA : anorexie / boulimie / hyperphagie boulimique et ceux spécifiques au diabète ?
« Il existe trois grandes catégories de TCA : l’anorexie mentale, la boulimie (compensatoire, vomitive) et l’hyperphagie boulimique. Le problème commun à tous ces troubles, est d’abord d’ordre mental. »
L’anorexie mentale
« L’anorexie mentale, est le trouble le plus connu : il se voit physiquement. L’anorexie mentale se caractérise par une restriction des apports par rapport aux besoins, qui provoque un poids bas, au niveau de l’indice de masse corporelle (IMC). Les caractéristiques mentales liées sont : la peur intense de grossir et la dysmorphophobie 2 (on ne se perçoit pas tel que l’on est vraiment). Une personne atteinte d’anorexie se trouve obèse, alors qu’elle a un IMC bas. La peur de grossir entraîne une honte lorsque la personne s’alimente. »
2 Dysmorphophobie : crainte d’une déformation ou d’une altération physique
L’hypoglycémie pourrait-elle alerter une personne atteinte d’anorexie et de diabète de type 1, au fait qu’elle ne s’alimente pas correctement ?
« Oui, les personnes atteintes de diabète de type 1 et d’anorexie sont souvent en hypoglycémie. Mais, nous observons avec les psychologues que ces patients sont « attachés » à cette sensation d’hypoglycémie. Lorsque nous sommes en hypoglycémie, notre état mental est un peu euphorique et il y a une sorte d’obsession à cet état d’hypoglycémie. Par exemple, être au-dessus de 0,80 g/L représente une catastrophe pour eux.
Finalement, lorsque nous expliquons aux patients atteints d’un diabète de type 1 et d’anorexie que l’hypoglycémie est liée au fait qu’ils ne mangent pas assez, ils en sont conscients. »
La boulimie compensatoire (avec ou sans vomissements)
« La boulimie se caractérise par une peur de grossir et une dysmorphophobie. Par contre, il y a des comportements de crises, qui sont finalement assez « bénéfiques », parce qu’il s’agit d’une réaction du corps qui ne se laisse pas vivre avec peu de calories. Les crises alimentaires provoquent un sentiment de honte et un comportement compensatoire : restriction lors des prochains repas, sauts de repas, réduction des glucides, sport et vomissement chez certaines personnes.
Souvent j’entends : « Je ne suis pas boulimique, je ne vomis pas. » La boulimie ne se caractérise pas seulement par les vomissements. Par exemple, une personne qui fait une crise alimentaire et qui va se rendre deux heures à la salle de sport, peut présenter des signes de boulimie. »
L’hyperphagie boulimique
« L’hyperphagie boulimique est comme la boulimie sauf qu’il n’y a pas de comportement compensatoire : pas de vomissements, pas de sport intense. Les crises alimentaires sont présentes et provoquent honte et culpabilité. Les personnes vont davantage cacher leurs crises. Elles maintiennent leur rythme de vie normal. Elle mène très souvent au surpoids, avec un IMC haut et c’est d’ailleurs la principale cause de diabète de type 2. Les aliments consommés durant une crise sont souvent très sucrés ou très gras, pour réguler les émotions. Cela va donc déréguler la glycémie et entrainer dans certains cas un diabète de type 2. »
La diaboulimie : un TCA spécifique au diabète de type 1
« La diaboulimie est une utilisation détournée du traitement de l’insuline. Elle se caractérise par le fait de ne pas s’injecter d’insuline au moment d’un repas glucidique. Comme l’insuline est connue pour être une « hormone de stockage », le patient ne s’injecte pas d’insuline pour être sûr que ce qu’il a mangé n’ait pas d’impact sur le poids. Cependant, cela provoque un désastre sur la glycémie. Les complications sont fréquentes chez les personnes atteintes de diaboulimie. Les patients préfèrent avoir des complications plutôt que de voir leur corps changer. »
L’accompagnement du patient
Quel type d’accompagnement êtes-vous amené à proposer à chaque personne atteinte de TCA, en prenant en compte son profil individuel ?
« L’accompagnement est différent selon chaque patient, chaque TCA et chaque type de diabète. Dans les quatre troubles alimentaires cités ci-dessus, nous travaillons sur la manière de déconstruire, « debunker » les règles alimentaires souvent entendues en société : croyances liées à l’alimentation, soucis de santé liés au poids, etc.
Avant cela, il y a un travail différent, fait avec le patient. J’utilise la thérapie cognitivo- comportementale (TCC), une technique consistant à donner un rythme alimentaire adapté au patient. D’abord, il faut que la personne comprenne les signaux de son corps liés à la faim : maux de tête, irritabilité, différents selon chacun et ensuite adopter un rythme alimentaire à partir de ces signaux.
En résumé, il s’agit d’abord de comprendre ses propres signaux, ensuite de casser les règles alimentaires, puis effectuer un travail sur l’acceptation du corps, de soi. Et surtout il y a un travail psychologique sur le psycho-trauma, répondant à la question : « Pourquoi avoir autant voulu se séparer de son propre corps ? ». Le patient doit parvenir à être en accord avec son corps. »
Utilisez-vous des outils, une démarche particulière pour accompagner le patient ?
« J’utilise beaucoup de dessins, des outils que je créée ou des outils de thérapie cognitivo- comportementale (TCC). Parfois, l’outil est réalisé avec le patient, pour qu’il puisse se l’approprier. Par exemple, avec certaines patientes atteintes d’anorexie, je leur fais faire des carnets de scrapbooking où elles peuvent regrouper les outils. Aussi, lorsque nous travaillons sur la déconstruction des règles alimentaires, nous pouvons les effacer, les gommer ensemble. Cela entraîne beaucoup de créativité. »
La 2de partie de l’entretien avec Anaïs Gaillot abordera le sujet du processus vers une guérison possible, grâce aux différents professionnels de santé impliqués dans la prise en charge du TCA.
Pour en savoir plus :
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