Nous poursuivons nos échanges avec Anaïs Gaillot, diététicienne-nutritionniste. Après avoir vu avec elle la prise en charge des troubles des conduites alimentaires, abordons maintenant les rôles des professionnels de santé et des proches dans l’accompagnement des patients vers la guérison.
Un long processus vers la guérison
Guérir d’un trouble des conduites alimentaires est un processus long. Mais pouvons-nous vraiment parler de guérison du TCA ? Et comment alors accompagner ce processus ?
Anaïs Gaillot : « Vers la fin du suivi, la prévention des rechutes fait partie intégrante du soin, notamment avec la présence des proches. Souvent ce sont eux qui détectent le trouble alimentaire et qui remarquent les signes évocateurs d’une rechute. Le suivi en cas de TCA est long, parce que le processus de guérison est long et donc rare. En moyenne, le processus de guérison dure cinq ans. Comme ce sont, avant tout, des pathologies mentales, la diététique n’est qu’une petite partie du soin. Il y a tout l’aspect mental lié au psycho-trauma, le rapport à soi : confiance en soi, s’aimer soi-même, etc.
Pour guérir des troubles alimentaires, il faut se nourrir. Se nourrir, ce n’est pas seulement au niveau alimentaire, c’est aussi se nourrir soi : avoir des rêves, des objectifs que l’on souhaite réaliser dans sa vie et qui n’existent plus en cas de trouble alimentaire. Le seul objectif est la perte de poids et la volonté d’avoir un poids parfait. Or, retrouver des objectifs personnels est un long cheminement. »
Le rôle des autres professionnels de santé
Avec quels professionnels de santé collaborez-vous dans le processus de guérison du patient ? Y-a-t-il un parcours de soin déjà structuré ?
« Il est obligatoire pour moi d’avoir « une armée » composée d’un diététicien, d’un psychiatre et d’un psychologue mobilisés dans le suivi du TCA. Parfois le psychiatre n’est pas nécessaire, mais il est important d’avoir un médecin ou un endocrinologue. Il est primordial que ce trio soit constitué et en contact pour pouvoir discuter de la prise en charge la plus adaptée pour le patient. Sans ce trio, il n’y a pas de guérison possible. Même après, l’équipe médicale reste disponible en cas de rechute, pour que celle-ci puisse être rapidement prise en charge. »
Plus précisément, en cas de diabète et de TCA, quel est le rôle de l’endocrinologue ou du diabétologue, dans le processus de guérison ?
« En cas d’anorexie et de diaboulimie , je suis en lien avec l’endocrinologue ou le diabétologue, notamment pour adapter les besoins en insuline qui varient souvent. L’endocrinologue est important dans l’accompagnement de la diaboulimie pour travailler sur la réappropriation et l’acceptation du diabète. Plus les crises alimentaires diminuent, plus les besoins en insuline diminuent, c’est pour cela que leur présence est très importante. »
Le rôle de l’entourage
Et l’entourage : est-ce que ce sont les proches qui vous contactent, par exemple lorsque le patient est dans le déni ?
« Ce sont parfois les proches qui prennent l’initiative du rendez-vous, mais cela reste rare, parce que souvent le patient n’est pas d’accord avec cette initiative et ne souhaite pas venir. Lorsqu’une personne est dans le déni, je la reçois, je lui explique via un outil en forme d’iceberg tous les signaux du corps lorsque nous avons faim : l’irritabilité, le mal de tête, le mal de ventre. Souvent, la personne exprime un rejet lors de cette première consultation, mais souvent elle revient d’elle-même, sans que ses proches soient au courant.
Pour que le processus de soin puisse commencer, le patient doit être dans une démarche de soin, sinon la prise en charge n’est pas possible. »
Les proches peuvent-ils être accompagnés grâce à l’éducation thérapeutique et/ou une sensibilisation pour les rechutes ? Quelle posture adopter entre surveiller et ne pas projeter ses angoisses lorsque la personne s’alimente ?
« Dans le processus de soin, un travail est réalisé avec la famille, surtout en cas d’anorexie mentale. Dans les autres formes de TCA, les proches peuvent parfois faire preuve d’incompréhension, parce que la souffrance du patient est indétectable. Souvent j’explique aux proches le trouble alimentaire à l’aide de dessins. La thérapie familiale est importante, surtout lorsque d’autres personnes de la famille peuvent également être atteintes de TCA. »
Le risque de l’addiction
Les patients que vous accompagnez présentent-ils un risque plus élevé de développer des addictions liées à l’alcool ou au tabac ?
A.G : « Beaucoup de patients atteints de TCA souffrent par ailleurs d’addictions liées à l’alcool, parfois aux drogues. En revanche, les patients atteints d’un diabète et d’un TCA sont rarement touchés par une addiction liée à l’alcool ou à la drogue.
Comme les TCA sont des pathologies mentales, cela arrive souvent parce l’obsession du poids est une façon de ne pas penser au traumatisme, au choc que cela cache. Le corps cherche à se protéger et cela passe par l’obsession alimentaire qui est une échappatoire émotionnelle. La consommation d’alcool, de tabac ou de drogue, même si elle est néfaste, aident les patients à se réguler émotionnellement. Par exemple, une personne qui fait une crise alimentaire et qui culpabilise peut boire de l’alcool pour oublier ce sentiment de honte provoqué par la crise.»
Le mot de la fin
Merci Anaïs, pour ces précieuses informations.
Quel message aimeriez-vous adresser aux personnes et aux familles touchées par un diabète et par les troubles des conduites alimentaires ? Quel serait votre mot de la fin ?
A.G : « Je dis souvent à mes patients que le corps est notre premier allié vers la bonne santé, même avec un diabète. Notre corps sait très bien qu’il y a un pancréas qui dysfonctionne, mais il s’adapte et se dirige toujours vers la vie. Il nous donnera toujours les signes pour aller vers la meilleure santé possible et il faut savoir les entendre et les comprendre. Écouter les signaux envoyés par son corps sera toujours positif. Écouter l’envie de dormir, lorsque nous sommes fatigués, écouter l’envie de manger sucré parce qu’il est 16 h et que nous avons passé une mauvaise journée, même si nous sommes atteints d’un diabète, notre corps sait que cela nous fera du bien, et que cela sera plus bénéfique que le stress et l’anxiété qui feront monter la glycémie. Prendre soin de soi est important. »
Auriez-vous un conseil pour les proches et les professionnels de santé ?
« Pour les proches d’une personne atteinte d’un TCA et/ou d’un diabète, il est conseillé de bénéficier d’un suivi psychologique, pour se sentir épaulé à 100 % et avoir un moment à soi parce que la charge est extrêmement lourde. Le TCA prend beaucoup de place et engendre souvent des rapports conflictuels. N’hésitez pas également à vous rendre au rendez-vous avec l’endocrinologue, lorsque c’est le bon moment pour vous et votre proche atteint d’un diabète.
Aussi, lorsque vous êtes confrontés à un comportement tel qu’une crise alimentaire et que vous apercevez, par exemple, des emballages, il n’est pas nécessaire de brusquer votre proche, en lui disant : « Mais pourquoi tu as fait ça ? ». Il est important de ne pas parler directement de l’alimentation parce que nous savons déjà que c’est problématique. Il s’agit plutôt de lui demander : « Est-ce que ça va ? », ou « Comment te sens-tu en ce moment, peux-tu en parler ? », « Je suis là pour toi ». Les contacts sociaux aident à apaiser et sont plus bénéfiques que le rapport direct à l’alimentation. »
Pour en savoir plus :
- Découvrez la 1ère partie de l’entretien avec Anaïs Gaillot, dédiée à la prise en charge diététique dans les troubles des conduites alimentaires en cliquant ici .
- Découvrez notre contenu lié aux TCA et aux différents types de diabète en cliquant ici.
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