Du fait de l’importance thérapeutique des deux projets retenus, la Fondation Francophone pour Recherche sur le Diabète (FFRD)* soutenue financièrement par la Fédération Française des Diabétiques a choisi de doubler en 2021 le montant de son mécénat. Chaque équipe recevra 300 000 euros versés sur trois ans, somme conséquente qui sécurise les équipes scientifiques pour un bénéfice plus rapide aux patients. Ces deux projets ont été présentés à la conférence de presse de la FFRD le 3 février dernier : la Fédération y était et vous en dit plus.
Glycémie et dépistage du diabète de la mucoviscidose
Le Dr Rémi Rabasa-Lhonet, vice-président de l’Institut de recherche clinique de Montréal (Canada), s’intéresse au dépistage d’une complication préoccupante de la mucoviscidose (voir encadré) : la survenue progressive d’un diabète par altération du pancréas producteur d’insuline, observable avec l’allongement de l’espérance de vie des patients. Complication grave, le diabète associé à la mucoviscidose (DAM) contrecarre le gain de vie obtenu par la prise en charge actuelle.
Il s’agit de dépister tôt les troubles glycémiques annonciateurs de l’atteinte pancréatique, grâce une surveillance continue par capteur sous-cutané (système flash) deux semaines par an pendant trois ans. Le capteur et son algorithme de recueil des données (une mesure glycémique interstitielle toutes les 15 minutes) tracent un profil glycémique peu invasif et informatif. Une hyperglycémie provoquée orale de contrôle reste toutefois nécessaire dans cette phase de recherche.
Le but de cette étude prospective est d’établir des seuils de référence pour la glycémie interstitielle d’alerte, et le profil glycémique prédictif du DAM à trois ans. Il est prévu d’intégrer 120 patients (de plus de 10 ans), recrutés au sein du Réseau francophone Montréal - Lyon - Strasbourg.
Maladie génétique, la mucoviscidose touche un enfant sur 3 000 à la naissance. Elle perturbe les mucus organiques, à commencer par le mucus respiratoire, provoquant une détérioration pulmonaire jusqu’à l’insuffisance totale et le décès. L’atteinte du pancréas réduit l’espérance de vie car la dégradation de l’équilibre glycémique est associée à une perte de poids, qui est un critère majeur d’aggravation de la maladie.
La flore intestinale, bouclier contre le diabète auto-immun
Sait-on à quel point le microbiote intestinal 1 œuvre à notre santé ? Le Dr Julien Diana, chercheur à l’Inserm (Institut Necker Enfants Malades, Paris) recadre son poids dans tous les sens du terme pour une personne adulte : 1 à 2 kg et dix fois plus de cellules microbiennes que de cellules corporelles. Cette flore met à notre service son million de gènes (23 000 dans nos cellules) pour, entre autres, fabriquer des vitamines indispensables (B12, K et folates), moduler les calories absorbées, etc. Surtout, elle éduque dès la naissance notre système immunitaire à ne pas réagir à tort et à travers, particulièrement à nos propres cellules ; ce qui évite ou limite la survenue de maladies auto-immunes comme le diabète de type 1.
C’est cet équilibre immun que tente de contrôler Julien Diana avec des protéines secrétées par les cellules du tube digestif appelées « peptides antimicrobiens »2. Leur présence ou leur absence modifient le microbiote de façon plus ou moins inflammatoire, favorisant ou pas une réaction auto-immune. Ces peptides sont aussi fabriqués par certaines souches microbiotiques.
En travaillant avec des souris dont le système immunitaire est similaire à celui de l’Homme, le Dr Diana entend vérifier que l’ajout de ces peptides dans l’alimentation des souris mères diabétiques pendant la gestation diminue significativement le risque de diabète auto-immun chez leurs souriceaux. Ces souris diabétiques manquent génétiquement d’un peptide antimicrobien appelé CRAMP (cathelin-related antimicrobial peptide). L’équipe de recherche a déjà vérifié qu’on peut retarder le diabète des souris adultes en leur administrant des probiotiques qui produisent le CRAMP manquant.
Le projet de recherche subventionné consiste à supplémenter en probiotiques des souris diabétiques gestantes pour savoir si ce microbiote correcteur se transmet à la descendance lors de la mise bas (colonisation par la voie génitale), protégeant ainsi les souriceaux du diabète auto-immun à prédisposition génétique, dès leur naissance. Une telle démonstration permettrait de tester ultérieurement ce simple remède, sans effets indésirables ni coût dispendieux, chez des femmes diabétiques enceintes pour protéger leurs enfants d’une auto-immunité pathogène héritable.
* La Fondation Francophone pour la Recherche sur le Diabète (FFRD), créée en 2013 à l’initiative de la Société Francophone du Diabète (SFD) et avec la participation de la Fédération Française des Diabétiques, sélectionne des projets prometteurs afin de mieux connaître le diabète et ses complications et améliorer la qualité de vie des patients
1 Microbiote intestinal :
Le terme microbiote désigne l’ensemble des bactéries qui habitent l’homme, quelle que soit leur localisation : peau, conduit auditif, bronches, vagin, etc. Les recherches portent essentiellement sur le microbiote intestinal parce que c’est dans le tube digestif qu’il est le plus abondant, particulièrement dans la dernière partie, le côlon, et parce que son influence sur l’organisme est considérable.
Il y a 100 milliards de bactéries dans 1 gramme de selles : autant que de cellules dans le cerveau ! Entre la bouche et l’anus, sur près de 400 mètres de longueur, plusieurs centaines de milliards de bactéries cohabitent, sans compter les virus et les champignons. Le microbiote intestinal fonctionne comme un deuxième organisme interne qui produit des substrats nutritifs indispensables et des informations essentielles à notre immunité. Si l’équilibre de cet écosystème est rompu, des troubles variés s’installent, souvent liés à un état inflammatoire pathogène, en particulier auto-immun.
2 Peptides antimicrobiens :
Les peptides antimicrobiens (PAM) sont des molécules de défense très répandues chez les organismes vivants. Très divers, ce sont des acteurs majeurs de l’immunité innée et le support de la compétition entre micro-organismes. Ils jouent un rôle crucial dans les interactions des micro-organismes entre eux et avec leur hôte. On en connaît plusieurs milliers. Leur étude s’accélère au moment où l’armement antibiotique s’essouffle face à l’explosion de l’antibiorésistance des micro-organismes.
Leur pouvoir antimicrobien repose sur leur petite taille (une cinquantaine d’acides aminés au maximum), et leurs caractéristiques chimiques.
Auteur : Docteur Sophie Duméry
Crédit schéma : Dr Julien Diana, Institut Necker Enfants Malades, Paris
Crédit photo : Adobe Stock