Dès lors, une réforme des retraites ne saurait être « juste » que si elle intègre les évolutions économiques, sociales mais aussi démographiques et sanitaires de la société française, si elle prend en compte pleinement tous les citoyens. L’allongement de la vie au travail, c’est pour nous la prolongation de la difficulté à concilier vie professionnelle et état de santé.
En France, 15 à 25 millions de personnes vivent avec une maladie chronique ou un handicap : peut-on décemment continuer à les ignorer ?
Penser l’accès à la retraite pour les personnes malades chroniques et handicapées, c’est poser plus largement la problématique de leur place dans la société, de la capacité de celle-ci à les accueillir. Oui, du fait de nos situations, nous sommes confrontés à des carrières professionnelles inégales, fractionnées : temps partiels subis, emplois précaires, évolutions de carrières ralenties, éloignement durable de l’emploi, arrêts maladies répétés, invalidité subie, parfois imposée… La pénibilité du travail est certes prise en compte dans ce projet, sous l’angle des conditions de travail et de l’exposition à des facteurs de risques professionnels, mais les pénibilités induites par notre état de santé ne sont pas considérées.
Ces difficultés liées au travail avec une maladie ou un handicap, trouvent comme point d’orgue le passage à la retraite, quand la pension, si réduite par des parcours professionnels en dents de scie, nous fait encore payer le prix fort, le prix de notre maladie, de notre handicap. Cette double peine, nous ne l’acceptons pas. « Rendre le système plus juste », « ouvrir des solidarités nouvelles », c’est aussi refuser que nos parcours professionnels irréguliers continuent de nous précariser dans l’âge, après la vie active. C’est un principe de Justice entre les citoyens, un principe qu’il faut assumer jusqu’au bout !
Les évolutions des dernières années ont de fait creusé notre précarité face à la vieillesse. Nous avons assisté à la construction d’un système qui, en lui-même, posait les bases d’une injustice profonde à notre égard : une retraite calculée sur un salaire de référence des 25 meilleures années, un nombre élevé de trimestre cotisés, un recul de l’âge de départ en retraite, facteurs structurellement inadaptés aux personnes vivant avec une maladie chronique ou un handicap. Alors que les débats pour une nouvelle réforme des retraites sont sur le point de s'ouvrir, nous constatons une fois encore que le parlement reste sourd à nos interpellations, sans voix face à nos revendications. Nous, qui représentons près d'un français sur trois, refusons cette condamnation tacite à l'invisibilité.
Le texte proposé aujourd’hui présente des avancées que nous saluons : pénibilité, départ à la retraite anticipé, reconnaissance des aidants… Mais un système plus juste reste à inventer, un système incluant mieux l’état de santé des personnes. Et pour l’inventer, des idées nous en avons.
C’est par exemple la pleine intégration des indemnités journalières ou des périodes d’invalidité dans le calcul de la pension de retraite. Aujourd’hui, ces trimestres d’interruption de carrière sont validés, mais pas cotisés, ce qui réduit le salaire de référence des 25 meilleures années et lamine les pensions de retraite des personnes ayant subi des carrières fractionnées. Pour l’égalité femme-homme, cette mesure a été adoptée pour les périodes de maternité ; pour l’égalité entre les citoyens, elle devrait être généralisée.
C’est aussi favoriser l’emploi des seniors vivant avec une maladie chronique ou en situation de handicap, par l’extension de l’application de la retraite progressive. Temps de travail aménagé, maintien de la rémunération, poursuite des cotisations, la retraite progressive constitue un véritable outil pour l’emploi des seniors malades ou handicapés. Nous en appelons à une adaptation de l’article 11 du projet de loi pour nous permettre une fin de carrière moins brutale, plus adaptée à notre état de santé. Travailler plus longtemps, pouvoir se maintenir dans l'emploi dans de bonnes conditions, nombre d'entre nous le peuvent et le souhaitent. A condition de mettre en place des mécanismes pérennes d'incitation pour les entreprises, encore réticentes à l'aménagement du temps ou du poste de travail. Ce type de mesure a pourtant été expérimenté avec succès par l’AGEFIPH, qu’attendons-nous pour en faire un dispositif public ?
Enfin, nous mettons en garde le gouvernement contre la stratégie de bricolage qui consisterait à résoudre une injustice en en créant une autre. La volonté d'abaisser le taux d’incapacité de 80% à 50% pour permettre un départ anticipé est une très bonne initiative, qui mettra fin à des situations aussi absurdes qu'injustes. Mais cela ne peut se faire en écartant les personnes reconnues en qualité de travailleur handicapé (RQTH) de l'accès à ce dispositif. Nous appelons à la cohérence et à la complémentarité des mesures.
Répondre aux injustices, c’est savoir quelle place on accorde, au sein de notre société, à plus d’un tiers de la population. C'est aussi garantir sa représentation au sein de l'hémicycle. Nous refusons d'être cantonnés au rôle de "l'assisté", maintenu non loin du seuil de pauvreté. Nous voulons exercer notre citoyenneté à part entière. Cela passe par le travail et la reconnaissance de nos spécificités.
Michel Simon, président du collectif [im]Patients, Chroniques & Associés (Association François
Aupetit / AFD / AFH/AFSEP/ AIDES/ AMALYSTE/ /Aptes/Fibromyalgie France/FNAIR/Jeunes Solidarité
Cancer/Keratos)
Claude Rambaud, présidente du CISS – Collectif Interassociatif sur la Santé
Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH : FNATH, association des accidentés de la vie
Alain Rochon, président de l’APF : Association des Paralysés de France
Mathilde Laederich, directrice de l’Association France Parkinson