Une équipe américaine explore l’impact du poids chez les enfants à risque familial de diabète de type 1. Elle conclut récemment que surpoids et obésité augmentent le risque d’émergence d’auto-anticorps dirigés contre les cellules bêta du pancréas à partir d’une dizaine d’années de vie, qu’il y ait prédisposition génétique ou pas. Ce risque justifie d’accompagner parents et enfants face à la société de consommation pour garder un poids normal toute sa vie.
« L'incidence du diabète de type 1 a augmenté depuis 1950 à un rythme trop rapide pour être attribué à la génétique (encadré 1). Le suivi de cohortes longitudinales pédiatriques indique que des auto-anticorps associés au diabète de type 1 peuvent être présents dès la première année de vie, explique le Pr Serge Halimi (université Grenoble - Rhône - Alpes). Cela corrobore l'hypothèse de facteurs environnementaux au début de la vie contribuant au risque de DT1. » Quelle est pourrait être la part d’une surcharge pondérale ou d’une obésité dans ces facteurs ?
L’équipe de Christine Ferrara-Cook, qui suit l’évolution d’enfants apparentés à des patients diabétiques dans la cohorte américaine « Type 1 Diabetes TrialNet », conclut à un effet d’accélération de la maladie par excès de poids cumulé au cours de l’enfance.1 Il s’agit bien d’un surpoids ou d’une obésité, durables, de plus en plus fréquents autour de la planète avec l’adoption du mode de vie américain mondialisé (excès calorique et sédentarité). Ces chercheurs ont déjà démontré ce lien chez les enfants et les adultes présentant des auto-anticorps positifs contre les cellules pancréatiques productrices d’insuline (encadré 2). 2
Dans leur récent article, ils ont tracé la maladie chez les enfants à risque familial qui ont déjà un auto-anticorps positif en observant le moment où apparaissent d’autres auto-anticorps. Leur espoir serait éventuellement de retarder peu ou prou ce virage auto-immun en contrôlant le poids du petit patient. Ils constatent que, d’une manière générale, plus l’enfant est âgé moins ce virage se produit dans sa classe d’âge. Ils notent un âge charnière de 9 ans à partir duquel la multiplication des auto-anticorps est ralentie. Si l’indice de masse corporelle (IMC) ne semble pas globalement affecter cette évolution, l’analyse en sous-groupe révèle des surprises.
Certains gènes HLA sont associés à une apparition rapide des auto-anticorps, même chez les enfants âgés de 9 ans et plus. Cela correspond au risque génétique attendu mais l’élément surprenant est que, dans le groupe des enfants sans prédisposition HLA , l’excès de poids cumulé suffit à les amener au même risque de multiplication des auto-anticorps que celui d’enfants du même âge avec prédisposition HLA. De plus, chez les enfants de 9 ans et plus sans prédisposition HLA, ceux en surpoids/obésité durable ont 7 fois plus de risque de produire des anticorps multiples que s’ils avaient gardé un poids normal.
D’où la conclusion de l’équipe américaine : l’excès de poids durable favorise l’aggravation de l’auto-immunité donc accélère l’apparition du diabète de type 1 chez l’enfant. Ces résultats inquiètent les médecins qui craignent leur interprétation hâtive.
Serge Halimi rappelle dans son article récapitulatif sur les facteurs environnementaux du diabète de type 1 (co-rédigé avec le Pr Roberto Mallone, référent international du sujet) : 3« il existe une grande difficulté à tirer de conclusions claires à propos des différents facteurs environnementaux peut-être incriminés, comme : âge maternel, allaitement au sein ou artificiel, multiples facteurs nutritionnels, flore intestinale, toxines ou infections virales (échovirus et coxsackies), pollution…». Si les liens entre surpoids et diabète de type 2 sont avérés, ce n’est aucunement établi pour le diabète de type 1. Il poursuit : « parmi les hypothèses, la surcharge pondérale s’accompagne d’une insulino-résistance avec abaissement de l’adiponectine et augmentation de la leptine. Cet état métabolique induit un syndrome inflammatoire qui peut accélérer les processus auto-immuns. »
Mais sa préoccupation majeure est la possible culpabilité des parents d’enfants atteints de diabète, culpabilité mêlée de croyances et de superstitions. « Le surpoids lié une alimentation insuffisamment encadrée durant l’enfance ne doit pas être un fardeau psychologique supplémentaire pour les parents qui se demandent fréquemment ce qu’ils ont fait de mal pour que leur enfant devienne diabétique. Ici le rapprochement diabète de l’enfant + surpoids/obésité est vite fait. Prévenir par une nutrition saine, peut-être, mais ne pas ignorer la portée de travaux scientifiques même rigoureux. »
Même réponse circonspecte de Marc de Kerdanet, diabéto-endocrinologue pédiatrique (CHU de Rennes) et président de l’association « Aide aux Jeunes Diabétiques » (AJD) : « Attention, nous parlons d’association observée mais nous n’avons pas de preuve de cause à effet. Une éventuelle causalité reste hypothétique. Il ne faut surtout pas en déduire que la minceur évite le diabète de type 1 : sa cause reste l’auto-immunité dirigée contre les cellules bêta du pancréas. »
Pour ce spécialiste qui exerce les « mains dans le cambouis », la surinterprétation des résultats américains par une lecture trop rapide est dangereuse car l’ignorance en matière de diabète est profonde. « Aujourd’hui la vérité n’est plus tant médico-scientifique que d’opinion, c’est déplorable. À l’AJD nous préparons une campagne de gradient communication sur « l’école inclusive » afin de limiter les comportements discriminatoires à l’encontre des enfants qui ont un diabète, comportements principalement liés à une réglementation imprécise et des représentations erronées. » La confusion entre diabète de type 1 et diabète de type 2 est préjudiciable à tous. « La susceptibilité génétique n’est pas une tare. Il faut expliquer aux parents qui culpabilisent que c’est une caractéristique transmise certes, mais que ce qui compte c’est la balance entre l’environnement et le profil génétique, balance qui se révèle plus ou moins avantageuse selon les circonstances de vie. » Le risque, statistique, est très difficile à cerner chez une personne précise quand jouent de nombreux facteurs génétiques et environnementaux. « Il n’est pas possible de prédire quoi que ce soit individuellement » rappelle-t-il avec force.
Alors que la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les enfants a été multipliée quasiment par 6 depuis les années 60 pour atteindre 17%*, la Fédération Française des Diabétiques pense qu’il est véritablement urgent de mener une politique préventive plus ambitieuse. Dans ses Etats Généraux du Diabète et des Diabétiques, elle a ainsi fait plusieurs propositions pour augmenter la qualité des produits industriels et donner aux enfants et leurs parents la capacité de faire des choix éclairés. Pour la Fédération, cela passe notamment par un encadrement plus important de la publicité audiovisuelle de produits hautement caloriques dans les programmes destinés aux enfants. C’est le combat qu’elle porte et qu’elle souhaite faire entendre aux pouvoirs publics pour limiter la prévalence du surpoids et de l’obésité, celle des maladies chroniques comme le diabète de type 2 mais aussi, à la lumière de cette étude, le diabète de type 1.
*Enquêtes ERF 1965, et Esteban 2014-2016
Quels conseils donner aux parents ?
Serge Halimi et Marc de Kerdanet sont unanimes sur une réponse de pur bon sens. Les méfaits du surpoids et de l’obésité étant nombreux et plus à démontrer, la corpulence* (IMC) doit rester dans la norme pour prévenir, chez les futurs adultes, le diabète de type 2 et le syndrome métabolique, les troubles osseux et les infections. Marc de Kerdanet précise que « l’obésité semble contribuer partiellement à l’apparition d’un diabète de type 1 chez les enfants, à côté de la vitamine D insuffisante, par la voie de l’autoimmunité. Elle contribue par ailleurs au diabète de type 2 à l’âge adulte, cette fois-ci par la voie métabolique. » Il faut donc maintenir un poids normal toute sa vie grâce, par exemple, à des programmes communaux tels que VIF® (encadré 3).
(note)
* La corpulence est un poids : l’excès de poids (surpoids, obésité) donné par l'IMC (indice de masse corporelle) est très généralement un excès de masse grasse plutôt que de masse maigre (muscles, os). Or la masse grasse (cellules graisseuses) a un rôle métabolique important. Elle provoque une inflammation de fond, générale, d’autant plus marquée que la masse grasse est importante et située autour des viscères (graisse abdominale).
Encadré 1
Plus précoce et plus fréquent
Le diabète de type 1 auto-immun (DT1) est de plus en plus fréquent (incidence de 3 à 4% et de 4,5% chez les moins de 15 ans, par an) et de plus en plus précoce (avant l’âge de 5 ans). En France, l’incidence du diabète de type 1 est d’environ 18 cas pour 100 000 enfants de moins de 15 ans. Ce chiffre varie d’un pays à l’autre, avec en un gradient nord-sud européen où le Nord est plus affecté.4Dans la cohorte ESTEBAN le surpoids et l’obésité infantiles touchaient 17 % des enfants de 6 à 17 ans en 2015 (dont 4% d'obèses).5 Ces proportions étaient inverses au niveau d’éducation des parents : plus leur niveau socioculturel était bas plus le surpoids/obésité des enfants était prononcé. La comparaison avec l’enquête ENNS réalisée 10 ans plus tôt indique une stabilisation de cet état de choses grâce à des initiatives comme celle des communes Fleurbaix-Laventie (Nord), programme devenu Vivons en Forme (VIF), dont l’efficacité à réduire le surpoids infantile est désormais établie (encadré 3)
Aux Etats-Unis, les médecins se confrontent à des obésités morbides précoces, que de l’avis du Dr Marc de Kerdanet, président de l’Aide des jeunes diabétiques (AJD), on ne rencontre que rarement en France.
Encadré 2
Le diabète de type 1 est un continuum auto-immun. Les lymphocytes T du système immunitaire attaquent les cellules pancréatiques qui fabriquent l’insuline (cellules bêta des îlots de Langerhans). Cette autoimmunité est détectée par des auto-anticorps sanguins bien avant que n’apparaissent les signes de la maladie. Celle-ci ne se manifeste que lorsque la plupart des cellules bêta a disparu, soit tardivement après le début de la réaction autoimmune. Les gènes les plus connus prédisposant à cette autoimmunité sont liés au système HLA, mais ne sont pas les seuls impliqués.
Stade 1 de la maladie : présence d’auto-anticorps sanguin prouvant une activation du système immunitaire contre les cellules bêta du pancréas. Le patient est asymptomatique parce que la plupart des cellules productrices d'insuline sont encore fonctionnelles.
Stade 2 : les tests métaboliques montrent un retard de la sécrétion d’insuline pancréatique mais le patient est toujours asymptomatique.
Stade 3 : Les atteintes d’organes par l’hyperglycémie permanente se manifestent parce que le pancréas ne peut plus faire face à la demande en insuline : tableau classique de la « décompensation » initiale du DT1 : polyurie, polydipsie, perte de poids, hyperglycémie majeure associés à une déshydratation et une acido-cétose avec risque de coma et de décès d’autant plus rapide que l’enfant est jeune.
Encadré 3
Vivons en forme (VIF®), un succès démontré 6
Ce programme de prévention du surpoids et de l’obésité infantile s’est développé à partir de l’expérience nutritionnelle des communes Fleurbaix-Laventie (1991). Promu par une association à but non lucratif, décentralisé et orchestré par les villes, il a publié son efficacité dans un article paru cet été.7 827 enfants des écoles de 4 villes de moins de 100 000 habitants, adhérentes du programme VIF® ont été pesés et mesurés par les infirmières scolaires à 4 ans d’intervalle : une première fois en cours préparatoire (CP) et la seconde fois à la fin du cursus primaire (CM2). A l’entrée dans le programme, 658 enfants (60,6%) avaient un poids normal, 137 (16,6%) étaient en surpoids et 32 (3,9%) étaient obèses, chiffres très supérieurs à la moyenne nationale. A noter que la scolarisation en ZEP variait de 0% (ville 2) à plus de 70% (villes 1 et 4).En 4 ans, près de la moitié des enfants en surpoids (48,2%) a retrouvé un poids normal et plus de la moitié des enfants obèses (59,4%) est passée en surpoids. En outre, les enfants encore en surpoids en CM2 ont un indice pondéral plus faible qu’en CP. Ces améliorations ne sont pas modifiées par la scolarisation en ZEP. Les villes qui, au cours des 4 ans, ont formé plus d’acteurs locaux et plus d’activités axées sur l’alimentation et/ou l’activité physique ont obtenu de meilleurs résultats. La valorisation des encadrants, l’appropriation des outils, la légitimité de leur action ont été des atouts majeurs.
Références
1- C. Ferrara-Cook, S. Geyer, C. Evans-Molina et coll. Excess BMI Accelerates Islet Autoimmunity in Older Children and Adolescents.
Diabetes Care 2020;43:580–587
2- C. Ferrara et coll. Type 1 Diabetes TrialNet Study Group. Excess BMI in childhood: A modifiable risk factor for type 1 diabetes development?
Diabetes Care 2017 ; 40 : 698-701.
3- Serge Halimi, Roberto Mallone, Nadia Tubiana-Rufi. Comment expliquer l'incidence croissante du diabète de type 1 pédiatrique ? Rôle de l'environnement.
Med Mal Metab 2020; 14: 393–400
4 - Journée mondiale du diabète 2017. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire N° 27-28 | 14 novembre 2017.
5- Etude de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition (Esteban), 2014-2016. Volet Nutrition. Chapitre Corpulence.
www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-…
6- VIF® le site : https://vivonsenforme.org/mission/
7- Constant et coll. Locally Implemented prevention programs may reverse weight trajectories in half of children with overweight obesity amid low child-staff ratios: results from a quasi-experimental study in France. BMC Public Health July 2020 - https://doi.org/10.1186/s12889-020-09080-y
Auteur : Docteur Sophie Duméry
Crédit photo : Adobe Stock